Chère lectrice, cher lecteur,
Nous vivons certes dans une société nouvelle, mais par bien des aspects, elle partage des points communs avec la société de nos parents ou de nos grands-parents.
Ainsi, jusqu’aux années 1970 comprises, l’alcool était un fléau – en ville comme à la campagne. Nombre d’entre nous se souviennent encore avoir eu des collègues alcoolisés sur leur lieu de travail, d’ailleurs.
Aujourd’hui, le fait est bien moins courant que par le passé, mais le point de vue de la société a également changé à ce propos-là : l’alcoolisme est désormais considéré comme une maladie que le patron doit encadrer.
Cependant, là où le changement est radical, est que l’alcool n’était pas considéré comme un psychotrope, mais comme une norme culturelle, d’où le fléau qu’il représentait.
Désormais, l’alcool est « noyé » dans un phénomène plus vaste, celui des psychotropes, qui commencent, comme l’alcool jadis, à prendre une apparence de normalité.
Si bien qu’aujourd’hui, nous vivons de plus en plus dans une société sédatée, où il est, comme avant, devenu trop douloureux d’être lucide, et où la dangereuse normalité, c’est de prendre des produits pour tenir le coup.
Aussi se pose la question : comment faire pour tenir les enfants loin de cela ? Et aussi, peut-on envisager de revenir à une société plus saine pour eux ?
Quelle est la normalité ?
Je me souviens, il y a un quart de siècle, quand vous vous mettiez au comptoir pour prendre un petit café, il y avait toujours, même dans les quartiers cossus, quelques personnages rougeauds déjà accoudés avant vous.
Ils se parlaient dans un langage où l’articulation des mots était en option. Il y avait généralement un verre de blanc devant eux, et ils essayaient de cacher leurs mains qui tremblaient.
Leurs propos devenaient de moins en moins intelligibles à mesure qu’ils ingurgitaient assez d’éthanol pour pouvoir se sentir « bien ». Leurs organes n’étaient bien évidemment pas du même avis.
Aujourd’hui, ce genre de rencontre est rare, sinon carrément folklorique. Ce que vous rencontrez tout autant, ce sont des gens qui ont le regard vide quand ils arrivent au travail.
Certes, ils sont fonctionnels, un peu lents. Ils « tiennent le coup », comme les ivrognes du passé, une journée après l’autre, un week-end de solitude après l’autre. La boîte de cachets est toujours là, tentante, comme la bouteille.
On a l’impression que, par la grâce horrifique et aseptisée de l’industrie pharmaceutique, la société a eu ce qu’elle voulait.
L’hypocrisie des pouvoirs publics
Auparavant, le désespéré peinait à être fonctionnel, il sentait fort, il gênait les autres, leur faisait honte en se faisant honte. Aujourd’hui, le désespéré est muet, ou guilleret quand il a des accès « hypomaniaques ». Mais il fait le boulot.
La question est malheureusement grave : combien sont-ils ? 3 millions rien que pour la France, pour ceux qui n’ont pas de problèmes psychiatriques1. Et les problèmes psychiatriques sont légion.
Vous pourrez m’objecter que tout le monde n’est pas fait pour ce monde, ni pour cette société-là. Mais je pense que la question devrait être renversée.
Nous avons devant nous une société qui s’accommode des psychotropes parce qu’ils peuvent permettre de tout faire supporter aux gens, tous les stress, toutes les déconvenues.
Les psychotropes ont augmenté la tolérance et la fonctionnalité d’une société qui, à cause d’eux, peut se permettre d’exiger toujours plus des individus, et donc d’être de plus en plus cruelle.
D’où l’hypocrisie des pouvoirs publics lorsqu’ils veulent faire la guerre à la drogue, alors qu’ils savent que sans drogue, la société qu’ils administrent ne « tournerait » certainement pas.
Il y en a (malheureusement) pour tout le monde
Il est assez tragique que la cocaïne soit devenue, dans les grandes métropoles et même dans les campagnes désormais, la drogue de référence.
Auparavant réservée au show-business et aux oiseaux de nuit, comme la chantait Fréhel dès 1931, la cocaïne s’est désormais démocratisée, notamment dans les métiers où il faut être alerte, comme la restauration.
Son prix élevé dissuade rarement les noceurs de s’en procurer ; elle s’est pour ainsi dire normalisée, et c’est d’en refuser en soirée qui est devenu une curiosité.
Or il s’agit bel et bien d’une drogue dure, qui affecte l’humeur, qui a des conséquences physiologiques et psychiatriques catastrophiques, en plus d’être ruineuse.
L’idée selon laquelle le cannabis mènerait aux drogues dures, jadis contestée par ses partisans, est ainsi battue en brèche.
À présent, le cannabis est vu comme une drogue de prolétaire, d’ouvrier qui doit tenir sur la chaîne de montage.
Ou d’étudiant fauché, qui revendique le « droit à la paresse », ou tout simplement de se questionner sur les disciplines qu’une société sans avenir lui impose.
Certes, encore stigmatisé pour favoriser l’isolement, le cannabis est finalement devenu lui aussi une drogue dure, avec des taux de molécule psychotrope, le THC, devenus très élevés.
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À ce titre, ce que l’on sait sur le cannabis, à savoir qu’il endommage les cerveaux des adolescents, est devenu plus vrai que jamais : la violence actuelle de cette drogue est sans commune mesure avec ce qu’elle était auparavant.
Ce qui rend le problème peu ou prou insoluble : s’il fallait légaliser pour mieux contrôler, il faudrait aussi avoir des exigences drastiques en termes de qualité de produit… qui déporterait les plus accros vers le marché noir.
En sortira-t-on jamais ?
Les psychotropes sont devenus un problème plus tabou que jamais, parce que la société ne fonctionne plus sans eux.
Ce qui fait que désormais, de plus en plus de jeunes et de moins jeunes se tournent vers des drogues « exotiques », dont la nocivité est incalculable.
Comme la qualité va avec le prix, il existe aujourd’hui de nombreux migrants ou travailleurs très pauvres qui se sont tournés vers des drogues absolument destructrices, telles que le crack, qui est la pire des horreurs.
D’autre part, cela a été un choc quand la famille royale néerlandaise a elle-même été menacée par la mafia du narcotrafic ; c’était il y a deux ans déjà2.
En France, les ministres de l’Intérieur successifs s’agitent beaucoup pour que le pays ne devienne pas un « narco-État » comme l’était le Salvador, comme l’est encore la Colombie, et comme les Pays-Bas sont en train de le devenir.
Mais ils sont eux-mêmes rattrapés par l’inconduite des personnages politiques.
Ainsi, la maire d’Avallon, en Bourgogne, est mise en examen pour trafic de drogue3, tandis qu’un député a été arrêté en train d’en acheter à un mineur en pleine rue… 4
Comment induire des comportements sains dans la jeunesse quand les personnages les plus importants du pays se conduisent en délinquants, voire en criminels ?
Peut-on encore trouver des bonnes solutions ?
Une société prospère n’a pas besoin de se droguer. Et elle n’a pas non plus besoin d’acheter la paix en laissant prospérer le trafic.
Comme pendant un temps l’alcoolisme dans l’Union soviétique, la drogue est devenue le symptôme d’un modèle social à bout de souffle et d’une mondialisation devenue malheureuse.
Hélas, ce qui avait permis à la Chine de se débarrasser d’une drogue aussi dangereuse que l’opium, dans la première moitié du XXe siècle, c’est une propagande qui s’appuyait sur les valeurs traditionnelles aujourd’hui honnies5.
En tout cas, l’hédonisme assumé et radical des « élites » n’est guère à même de protéger la population contre elle-même. Au mieux, il amènera à une politique répressive violente, comme aux Philippines.
Le pire… le glissement vers le chaos, nous le vivons déjà. Nous aimerions seulement que ça s’arrête. Mais pour cela, il est nécessaire que chaque personne dotée d’autorité montre l’exemple.
Portez-vous bien et faites attention à ceux que vous aimez.
1 https://fr.statista.com/statistiques/568725/taux-personnes-traitees-antidepresseurs-par-age-france/#:~:text=Au%20total%2C%20cette%20année%2Dlà,ne%20leur%20avait%20été%20diagnostiqué.
2 https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/14/aux-pays-bas-la-princesse-heritiere-et-le-premier-ministre-menaces-par-la-mafia-de-la-drogue_6145791_3210.html
3 https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/yonne/comment-jamilah-habsaoui-la-maire-d-avallon-mise-en-examen-pour-trafic-de-drogue-a-repris-ses-fonctions-3052579.html
4 https://www.20minutes.fr/politique/4117073-20241022-andy-kerbrat-depute-lfi-interpelle-avoir-achete-3-mmc
5 https://shs.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-3-page-193?lang=fr
Un jour ou l’autre, je devais vous en parler