Chère lectrice, cher lecteur,
J’ai déjà eu le privilège, ici même, de vous parler d’art, et plus spécialement des vertus curatives de l’art.
A priori, rien ne semble plus inutile, dans une période aussi terre-à-terre que la nôtre, où chacun désormais doit compter ses sous, que l’art et la création artistique.
Et pourtant, rien ne me paraît plus nécessaire que l’art, et je vais m’empresser de vous en révéler la raison.
L’art-thérapie, une réalité curative
Cependant, avant de vous parler des bienfaits et la nécessité absolue et curative de l’art dans nos vies, je dois vous entretenir de l’art-thérapie et, hélas, des problèmes qu’elle pose.
L’art-thérapie consiste à faire pratiquer de l’art pour soigner des patients de leurs troubles psychologiques, ou pour leur lever des blocages mentaux qui les rendent malheureux.
L’art-thérapie a connu un certain succès avec les patients en psychiatrie, et c’est toujours le cas dans les établissements spécialisés.
Les patients ayant des troubles psychiatriques gagnent beaucoup à créer, ne serait-ce que pour évacuer autant que faire se peut les traumatismes qu’ils subissent et dont ils sont encore les victimes.
C’est aussi parfois un moyen d’accepter de grandir, de sortir d’un soi trop fragile, incapable d’autonomie, et qui se sent diminué pour cela.
Dans la création pure, il n’y a pas de jugement, il n’y a que soi-même, et quand on n’arrive pas à vivre avec soi, pouvoir mettre au jour ses nœuds intérieurs, c’est un progrès et un effort considérable.
Aussi l’art, pour les patients psychiatriques, est une parenthèse qui permet souvent de les rééquilibrer.
Elle les empêche de tomber dans des comportements extrêmes, de s’en
prendre à eux-mêmes et à leur entourage, psychologiquement et
parfois physiquement.
Existe-t-il vraiment des art-thérapeutes ?
Cependant, ces bienfaits ne sont pas aussi facilement extensible à des personnes dont le comportement n’a rien de pathologique.
On ne fait pas de l’art avec les mêmes objectifs quand on est fonctionnel psychologiquement – on cherche assez facilement à se mesurer aux autres, à se comparer, à se dépasser.
D’autant que l’art se nourrit de contraintes ! Et dans ce cas-là, il arrive qu’il ne soit plus du tout curatif, mais au contraire frustrant, blessant, voire malsain par les efforts qu’il exige.
C’est là toute la difficulté du métier d’art-thérapeute : permettre aux personnes qui viennent le consulter d’avancer dans leur vie par la pratique de l’art, sans que ce soit ni trop dur, ni trop facile.
Autant dire que la tâche est herculéenne, réclame du savoir-faire, beaucoup d’empathie, de tact et d’autorité – là où chacun peut dire : peignez ! écrivez ! faites du bruit avec des instruments de musique !
Donc, si l’art-thérapie est une réalité, les art-thérapeutes qui arrivent à de vrais résultats – surtout sur des patients sans problèmes psychiatriques – sont extrêmement rares…
Si vous pouvez m’en conseiller quelques-uns, j’en serais ravi, car ceux que j’ai rencontrés méritant ce titre se comptent sur les doigts d’une main.

L’art, spiritualité primordiale
Hegel nous a enseigné que l’art est le premier miroir de l’humanité. Les deux autres sont la pratique spirituelle et la philosophie.
Or en tant qu’humains nous avons besoin de ce miroir pour nous reconnaître nous-mêmes, pour exister, c’est-à-dire pour sentir que nous faisons partie du monde – pas seulement que nous sommes des spectateurs.
Par réciproque, quand nous ne nous sentons pas reconnus pour ce que nous sommes, nos qualités et nos efforts, nous avons l’impression que le monde se déroule devant nous comme un film.
N’importe qui pourrait être là, à notre place, à regarder les autres vivre.
C’est pour cela que l’humanité crée depuis des millénaires.
Même quand il n’y avait pas d’écriture pour savoir de quoi le monde est fait, les œuvres d’art témoignaient déjà de la vie intérieure de nos lointains ancêtres.
Dans ses cours sur l’art (L’Esthétique), Hegel enseignait que la forme d’art fondamentale est l’architecture, parce qu’elle permet toutes les autres, puisqu’on peut les placer à l’intérieur.
Il entendait par-là que l’art, qui est liberté, émancipation, sous la forme d’expression des passions humaines, se manifeste à un niveau inférieur à l’écrit. C’est originellement une expression brute qui se passe de mots.
L’archéologie n’a fait que confirmer cela, même si elle a démontré que les premières formes d’art étaient en fait déjà subtiles.
Il en allait ainsi de la peinture, avec l’art pariétal (la grotte Chauvet a 36000 ans). Et la musique, avec les premières flûtes en os, qui ont entre 50 et 60000 ans, avec des cavernes spécialement taillées pour servir d’auditoriums !1
Cela s’est longtemps perpétué comme sur le célèbre tympan de l’abbatiale Sainte-Foy de Conques, où l’architecture servait à expliquer le jugement dernier au croyant qui ne savait pas lire.
Sur ce tympan, nous voyons exposé le plus profond de l’âme humaine, les craintes, les angoisses, les espérances, les béatitudes. C’est tout ce que l’art nous permet de puiser au fond de nous.
Nous sommes tous des artistes
Nous voyons presque toujours l’art comme un domaine qui a été sacralisé par la critique. Ce sont les « beaux-arts » qui sont d’ailleurs devenus de moins en moins beaux au fur et à mesure du temps.
Mais cette vision quelque peu restrictive de l’art n’était pas celle des temps plus anciens. Où notamment, les arts que nous qualifierions d’utilitaires étaient tenus pour aussi « artistiques » que les autres.
L’autre nom de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert est le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers…
Cela signifie qu’il y a une foule d’activités que vous pouvez faire pour vous exprimer, vous sentir mieux, embellir votre vie et évacuer vos frustrations.
Si vous préférez les scrap books et la peinture de figurines à la sculpture, l’important, c’est à quoi cela sert pour vous. Pas ce que le monde en pense !
Et sinon, il y a aussi la possibilité d’écrire – pas seulement des histoires ou des mémoires universitaires – simplement écrire son journal, c’est déjà exercer un art et se mettre à nu.
Cela permet de vivre avec soi. S’exprimer, ça veut dire se presser (comme un tube de peinture par exemple) pour se faire sortir de soi-même.
Écrire dans son journal, ça reste beaucoup plus sain que de trainer au bar tous les soirs ou de se détruire les articulations à enchaîner les marathons.
Car même les activités a priori saines sont devenues désormais des prétexte à excès…
C’est encore mieux si nous sentons que nous progressons dans nos vies, si cela nous pousse à nous améliorer, personnellement et artistiquement.
Et entre la calligraphie et le style, l’écriture laisse bien de l’espace pour progresser !
N’hésitez pas à avoir des hobbies ! Vous servir de vos dix doigts donne l’opportunité de vous découvrir, de prendre du recul sur vous et votre quotidien.
On n’imagine pas combien d’entre nous échappent à des comportements dangereux en occupant leur temps libre à des loisirs qui développent des compétences, parussent-elles inutiles au monde entier.
C’est peut-être, aussi, votre cas.
Prenez soin de vous, de votre corps comme de votre tête.
1 https://www.lemonde.fr/culture/article/2021/06/27/sapiens-et-la-musique-fut-sur-arte-des-orgues-stalagmitiques-pour-symphonie-prehistorique_6085885_3246.html
Écrire, c’est déjà guérir