Chère lectrice, cher lecteur,
Je vous écris avant tout pour vous souhaiter de bonnes fêtes. Cette année en votre compagnie a plus enrichissante encore que les précédentes, et j’apprécie toujours autant les courriers que vous m’envoyez.
Vous êtes vous aussi une famille pour moi, et cette lettre est pour moi un lien privilégié que j’entretiens avec vous, contre vents et marées, contre les vicissitudes de notre époque bien troublée.
Cependant, rien ne vaut une famille, la vraie, celle qui nous donne la chaleur humaine, celle qui nous écoute, celle qui est là pour nous comme nous sommes là pour elle : ces liens fraternels qui nous unissent.
Or, ce qui nous était une évidence l’est de moins en moins, car la famille, ce socle de notre société, est plus attaquée que jamais.
Eteignez donc la télé
Notre société de consommation a une histoire très ambiguë avec la famille. Elle en a fait la promotion avec succès, après-guerre, pour permettre le baby-boom, mais en même temps la télévision a été son ennemie déclarée.
En effet, au lieu du foyer autour duquel on se retrouvait jadis et où l’on se racontait des histoires à la veillée, s’est substitué un autre foyer, celui où se concentre tous les regards : la télévision.
Elle faisait ainsi taire la voix familiale, les récits qu’on se transmet, cette parole qui incarne l’union.
Comme l’analysait déjà le grand philosophe Günther Anders en 1956, on retrouva dès les premières télévisions achetées à crédit, des familles pauvres qui ont abandonné leurs enfants devant, en Angleterre.
Car au lieu de grandir et de vivre dans l’entraide et le dialogue, nous vivons selon le discours que nous imposent les écrans. Et ce discours divise, rend capricieux, égoïste et arrogant.
Les écrans ont pour but de nous séparer les uns des autres – comme l’expliqua un peu plus tard un autre philosophe de la consommation, le situationniste Guy Debord, dans son célèbre ouvrage, La société du spectacle (1967).
La néo-famille, machine à consommer
C’est devenu évident avec la crise sanitaire : les écrans ont divisé les populations, renvoyé chacun à ses informations, à ses idées, à ses désirs.
On a alors vu des comportements regrettables au sein même des familles. L’égoïsme a prévalu, l’hypocrisie aussi, parfois même l’exclusion des « réfractaires ». Cela a laissé des traces…
Hélas, le manque de spiritualité ne pousse guère au pardon. La philosophie et la religion ont laissé place aux slogans des grandes marques : tout y est jouissance matérielle, compétition, mépris des traditions.
Notre société de consommation a encore besoin de la famille, mais de quelle famille ? Elle en veut une fragile, éphémère et surtout, marquée par la rupture avec les générations antérieures. Une néo-famille.
C’est pour cela que la publicité ridiculise maintenant la vieillesse assez systématiquement, et tient surtout à nous montrer des familles américaines qui ne nous ressemblent pas.
On veut construire un peuple nouveau, séparé des générations antérieures, dont les liens entre eux sont réduits au minimum.
On ne se transmet plus l’expérience de la vie.Le jeune est supérieur au vieux parce qu’il tapote plus vite sur son écran, et la vie se réduit à cela : tapoter sur un écran !
Pensez donc, si l’on avait des traditions familiales, voire même un esprit dynastique, on risquerait de créer des esprits solides – quel danger pour une société liquide ! (c’est l’expression d’un célèbre sociologue, bien lucide).
Pensez donc ! Les jeunes ne chercheraient pas à adopter ce comportement de poulet sans tête, celui du consommateur moderne, acharné à dépenser tout son avoir pour suivre des tendances plus insipides les unes que les autres !
Cette néo-famille éclate à la moindre dissension, et nous ramène à ce qui était une évidence depuis des millénaires… N’est-ce pas la famille qui va nous sauver ?
Une résistance, une entraide, une santé
La famille permet de résister aux difficultés du présent comme elle l’a permis par le passé. Ainsi, j’ai vu bien des familles, même réduites, faire front commun ces dernières années.
La famille a préexisté à l’Etat et même certainement aux tribus, qui n’en ont été que l’extension. Elle est là depuis toujours : elle est la façon que l’être humain a trouvé pour se sortir des situations les plus épineuses.
Elle est aussi la façon que l’humanité a de célébrer les moments les plus importants d’une vie, qu’ils soient tristes ou joyeux.
Si les familles étaient plus soudées, il n’y aurait certainement pas autant de problème de santé mentale qu’il n’y en a aujourd’hui.
Mais garder une famille, cela implique bien sûr de pardonner, mais cela implique aussi que les pardonnés reconnaissent leurs erreurs et fassent amende honorable.
Un moment de jeunesse éternelle
Quand nous passons un bon moment en famille, quelle que soit la taille de notre famille, tout le monde a le même âge, tout le monde partage un seul et même moment.
Nous retrouvons donc le sentiment d’être une seule et même continuité humaine, d’être le maillon d’une chaîne plus forte que l’adversité, et qui nous rattache à la nuit des temps.
Mais pour cela, il faut savoir faire preuve d’écoute et d’amour. Grâce à cela, nous tenons tous ensemble ; sans cela, nous tombons.
Voilà pourquoi les fêtes de fin d’année sont bien plus qu’une fête de la consommation. C’est une fête du partage, de l’amour et de la joie. Dans toutes les civilisations, le solstice d’hiver est un moment de réjouissances communes.
C’est aussi le moment de tendre la main à ceux des nôtres qui sont en difficulté, ceux qui sont égarés, ceux qui souffrent, quel que soit leur âge ou leur situation. Etre là les uns pour les autres.
N’oublions pas non plus de glisser un mot à la famille éloignée, et de nous rappeler que nous sommes tous, quelle que soit la distance qui nous sépare, les maillons d’une même chaîne.
Et même, si vous le pouvez, accueillez une personne qui n’est en famille avec personne, et partagez avec elle votre bonheur.
En somme, éteignez les téléphones et la télé, et passez un joyeux réveillon !
Marc
Turenne
La famille, c’est la joie et le partage